Publié le 11 mars 2021

Santé mentale : pour une meilleure intégration dans la médecine de premier recours

#La synthèse du Lab

La Mutualité Française a choisi de consacrer la 5e édition de son LAB « Place de la Santé » à la santé mentale (cinq séances entre février et juin 2021). Véritable enjeu de santé publique, mais « angle mort » des politiques de santé publique, elle représente pourtant le premier poste de dépenses d’assurance maladie. Une coopération de tous les acteurs (notamment médecins et psychiatres) est nécessaire, sur le modèle des « soins collaboratifs ».

 

Les intervenantes :

  • Angèle MALÂTRE-LANSAC, Directrice déléguée à la santé de l’Institut Montaigne, auteure du rapport Santé mentale : faire face à la crise (Institut Montaigne, décembre 2020)
  • Marie-Jeanne RICHARD, Présidente de l’UNAFAM (Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques)

 

 

Résumé

Premier poste de dépenses de l’Assurance maladie devant les maladies cardiovasculaires et les cancers, la santé mentale est l’angle mort de la santé publique. Oubliée de la crise sanitaire, alors que ses effets, délétères mais prévisibles, sont massifs. Le constat est sévère : insuffisance de la prise en charge et de l’accompagnement, cloisonnement de la médecine du corps et de la médecine psy, manque de coopération entre le somatique et le psychiatrique, organisation très éclatée de la psychiatrie, prise en charge trop hospitalo-centrée des troubles psychiatriques. Pour y répondre, il faut une coordination entre médecine générale et santé mentale, notamment en intégrant celle-ci dans la médecine de premier recours. Qu’il s’agisse de « troubles psychiques » ou de « pathologies lourdes, un continuum est nécessaire. Expérimenté à l’étranger, le modèle des « soins collaboratifs », qui repose sur une coopération entre un médecin généraliste, un care manager (profil infirmier) pour le suivi du patient, et un psychiatre référent qui apporte son expertise à distance au médecin de premier recours, est une piste prometteuse.

Les conséquences délétères de la pandémie de Covid19 sur la santé mentale des Français ont mis sur le devant de la scène les insuffisances du secteur de la prise en charge et de l’accompagnement de la santé mentale. Les mutuelles interviennent de longue date en la matière. Leurs Unions régionales mènent des actions de prévention à destination de populations ciblées. Certaines mutuelles incluent des remboursements et services dans leurs contrats. Les établissements et services de soins mutualistes en santé mentale sont présents sur l’ensemble du territoire. Au travers de ses établissements, la MGEN a ainsi été, dans ce domaine, pionnière dans la recherche et l’innovation.

Toutefois, dans le contexte actuel de crise sanitaire, la santé mentale devient, dans son large spectre, un enjeu de société tel, qu’il devient crucial de la sortir de l’angle mort, du trou noir, de la santé publique. La Mutualité Française entend jouer un rôle actif dans les débats sur ce sujet central, dont un jalon sera sans doute les états généraux de la santé mentale, que les pouvoirs publics ont programmés en juillet 2021.

La notion de santé mentale recouvre la promotion du bien-être, la résistance au stress, la prévention des troubles psychiques, le traitement et l’accompagnement des personnes atteintes de ces troubles.

Les maladies psychiatriques touchent chaque année une personne sur cinq, soit 12 millions de Français. Première cause de handicap dans le monde, la santé mentale touche chaque année en France, 20% de la population.
Par rapport à la population générale, l’espérance de vie des personnes vivant avec des troubles psychiques est écourtée de 10 à 20 ans et leur taux de mortalité est 3 à 5 fois supérieur (OMS 2015).

Sur le plan de la prise en charge, la santé mentale (maladie psychique ou traitement chronique par psychotrope) représentait déjà, avant la crise sanitaire, le premier poste de dépenses de l’Assurance maladie (14,5%), devant le cancer (11,5%) ou les maladies cardiovasculaires, soit près de 21 milliards d’euros en 2018.

 

Pour une meilleure intégration de santé mentale dans la médecine générale

L’entrée dans le parcours de soins est déterminante.
La coordination entre médecine générale et santé mentale est un enjeu majeur pour une bonne prise en charge
La médecine générale est aujourd’hui en première ligne dans la prise en charge de la santé mentale. Elle représente 60% des premières consultations pour ce motif et donne lieu à 90% des prescriptions de psychotropes. Pour autant, les patients ne sont pas correctement intégrés dans le système de prise en charge spécialisée, ce qui peut expliquer des retards de prise en charge adaptée (le retard au diagnostic est plutôt de l’ordre de 8 à 10 ans pour les troubles bipolaires, de 2 à 3 ans pour les troubles du spectre autistique).

Une nécessaire intégration de la santé mentale dans la médecine de premier recours

La situation actuelle se caractérise par un manque cruel de liens entre les médecins généralistes et les spécialistes de la santé mentale. Culturellement et fonctionnellement, la médecine du corps et la médecine psy sont cloisonnées. Le taux d’adressage entre médecins généralistes et psychiatrie est le plus faible d’Europe, du fait d’un manque de communication et de coordination mais aussi d’une forte stigmatisation et de la faiblesse de l’accès aux soins spécialisés en psychiatrie.

 

Pour une meilleure intégration de la médecine générale dans la prise en charge des patients souffrant de troubles dits « légers » et ou « modérés »

L’idée est que le patient en médecine générale soit dépisté et pris en charge le plus tôt possible. Cette approche intégrée et populationnelle suppose une meilleure formation des médecins et de leur environnement ainsi qu’un renforcement des ressources à disposition des médecins généralistes. Le modèle « des soins collaboratifs », éprouvé au niveau européen et international et qui a démontré toute sa pertinence, constitue une piste d’évolution prometteuse. Il repose sur un triptyque : le travail entre un médecin généraliste, un care manager (profil infirmier) pour le suivi du patient, et un psychiatre référent qui apporte son expertise à distance au médecin de premier recours. Les psychologues ainsi que l’ensemble des ressources (sociales, associatives, etc.) sont également mobilisés pour assurer une prise en charge globale des patients. L’infirmier coordinateur, au cœur du modèle, assure la coordination entre les acteurs et permet d’apporter une intensité des soins nécessaire à une bonne prise en charge ainsi qu’à l’engagement des patients.

Ce mode d’organisation intégré permet un accès plus direct aux soins, une amélioration des soins somatiques comme psychiatriques, et aboutit à une meilleure satisfaction des soignants et des patients par une approche moins stigmatisante.

 

Par rapport à la population générale, l’espérance de vie des personnes vivant avec des troubles psychiques est écourtée de 10 à 20 ans et leur taux de mortalité est 3 à 5 fois supérieur

 

Placer le patient et son entourage au centre de la prise en charge

La prise en charge de la santé mentale se caractérise par une entrée trop lente dans le système de soins. La nature progressive des troubles et leur méconnaissance s’accompagnent d’une perte de confiance des familles, voire de l’installation d’un sentiment d’impuissance, aussi bien des patients, que leurs proches ou des professionnels de santé.

Face à une organisation de la psychiatrie très éclatée et qui ne semble pas être au cœur des politiques publiques de santé, on constate une prise en charge trop hospitalo-centrée. La majorité des patients 93% ont fait un séjour, voire plusieurs, en milieu hospitalier avec un recours à l’hospitalisation sans consentement pour 65% des cas. Par ailleurs, l’absence de pratique du « aller vers » en ambulatoire entraîne une rupture du parcours de soins et l’installation progressive d’un handicap, cause de désinsertion sociale.

 

Construire une (R)évolution de la santé mentale

  • Former / informer le grand public pour faire face aux premiers signes de fragilité est un enjeu de premier ordre. Des campagnes nationales d’information et le déploiement de premiers secours en santé mentale seraient à mobiliser pour y parvenir.
    Il est capital également de développer la formation des professionnels, médecins généralistes dans leur relation aux spécialistes et plus généralement les professionnels de l’éducation au contact des jeunes.
    Enfin, une prise en charge rapide, souple, dans un environnement non stigmatisant, pourrait être proposée dans les espaces de santé pluridisciplinaire, dont la Mutualité Française a promu la mise en place dans le cadre du Ségur de la Santé. Renforcer les lieux d’accueil non médicalisés (maisons des adolescents) et de centres de dépistage et de prise en charge des psychoses émergentes font également partie des évolutions souhaitables.
  • Prévenir la crise et limiter les ruptures de soins impliquent l’élaboration de plans favorisant l’éducation thérapeutique du patient, et des dispositifs d’accompagnement pour un parcours de vie sans rupture après évaluation de l’impact des troubles sur la vie quotidienne (bilan social: école, emploi, logement, ressource, enfants..). La construction de Plan de crise conjoint et de directives anticipées en psychiatrie y contribue également.
    Pour une gestion des situations d’urgences psychiatriques, il conviendrait de déployer des équipes mobiles de crise, de mieux adapter l’organisation des CMP (Centre Médico Psychologique), pour permettre des accueils non programmés et la création de centres d’accueil et de crises.
  • Le défi de la déstigmatisation doit être relevé. La maladie mentale se soigne. Or la stigmatisation retarde l’entrée dans la prise en charge. Et la stigmatisation a aussi des impacts sur les aides et les acteurs du soin et de l’accompagnement.
  • Soutenir l’entourage est indispensable car la perte de la santé mentale d’un membre de la famille induit trop souvent une rupture dans le déroulement de la vie. C’est le cas pour près de la moitié des personnes concernées.
    L’aidant ne peut pas être exclu de la prise en charge. 84% des aidants déclarent que leurs proches ne bénéficient d’aucun service d’accompagnement. Au-delà de la nécessité d’informer et de former (pair-éducation famille), c’est une véritable stratégie de soutien des fratries et des jeunes aidants qui doit se mettre en place.

 

Prendre en compte la question des âges

Les parcours de vie font apparaître des moments particuliers de fragilité au moment de l’adolescence, avec des troubles psychiques liés à la construction de la personnalité, ou dans le grand âge avec les maladies dégénératives. Des pathologies qu’il convient d’aborder de façon spécifique, par une politique d’accès aux soins dédiés pour les plus jeunes, les précaires et les sans-abris, pour les personnes incarcérées, ainsi que par une approche des comorbidités en Ehpad par exemple.
Cela n’est possible que dans la perspective d’un continuum facilitant la fluidité des parcours et l’absence de rupture de soins ou de droits.
Sur ce sujet, une consolidation des structures comme les Centres d’Action Médico-Sociale Précoce (CAMSP) et les Centres Médico-Psycho-Pédagogique (CMPP) est indispensable à la prise en charge des enfants.
Qu’il s’agisse de « troubles psychiques » ou de « pathologies lourdes, un continuum est nécessaire.
La Haute Autorité de santé (HAS) a souligné, dans un récent rapport, le manque de coopération entre le somatique et le psychiatrique, ainsi que le retard de la France sur ce point.

 

La santé mentale au temps du Covid19

La santé mentale est l’un des grands oubliés de la première phase de la crise sanitaire. Ses effets délétères, pourtant prévisibles (voir des études de la Fondation Jean-Jaurès, mars 2020), sont massifs auprès des publics fragilisés, jeunes, chômeurs et précaires. Mais pas seulement. S’ajoutent des détresses professionnelles à reconnaître en tant que telles comme le burn-out et le stress au travail, et au sein de l’espace familial, avec les violences faites aux femmes ou l’inceste.
Par ailleurs, le risque de troubles psychiques semble augmenter chez les personnes qui ont contracté la Covid particulièrement en situation de comorbidité (Parkinson).
Seule une prise en charge coordonnée peut appréhender ces larges phénomènes qui vont du risque psycho-social à la prise en charge psychiatrique. Pour y parvenir, il faut soutenir la médecine générale.
La période de crise sanitaire doit nous amener à interroger l’organisation du système de prise en charge de la santé mentale en France, son efficience, en particulier dans l’articulation des secteurs publics et privés.
Ce travail est indissociable d’une meilleure connaissance d’un champ jusque-là encore trop peu documenté dans ces aspects sociologiques, au besoin, par une approche « genrée » des problématiques sociétales.

De février à juin 2021, le LAB de la Mutualité Française a consacré un important travail à la question de la santé mentale. Rencontrant l’actualité sur ce sujet, ses travaux ont montré les difficultés d’accès aux soins psychiatriques et la situation contrastée de la prise en charge.

La synthèse de ces workshops, comportant un éditorial de Séverine Salgado, Directrice générale de la FNMF, est aujourd’hui disponible.

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