Publié le 21 mars 2018

Gouvernance du système de santé : les propositions de la Fondation Jean Jaurès

Pour la Fondation Jean Jaurès, la gouvernance du système de santé doit s’articuler autour d’un seul régime de Sécurité sociale et d’une agence de financement unique. Cela nécessiterait, selon la Fondation, une clarification des rôles entre les différents acteurs de santé – assurance maladie et ministère de la Santé – et devrait être accompagnée d’une régionalisation plus aboutie de la gouvernance.

Les réformes successives de l’assurance maladie (AM) ont promu une gouvernance plus simple du système à travers un pilotage plus explicite. Malgré le renforcement du rôle de l’Etat aux dépens des partenaires sociaux, l’AM reste une agence indépendante sous contrôle de l’Etat qui voit croître ses responsabilités propres dans la gestion du système. L’étatisation n’est, par conséquent, pas univoque. Il existe trois piliers de la gouvernance : la HAS, l’Uncam et l’Unocam. Ces trois piliers font apparaître un couple AMO (assurance maladie obligatoire) et AMC (assurance maladie complémentaire) qui doivent négocier ensemble la répartition de certaines dépenses. La HAS devient, alors, légitime pour reconnaître ce qui est indispensable dans les soins, de ce qui est complémentaire, voire faiblement utile.

La coordination entre les politiques de santé et les politiques d’AM est difficile. Seule la loi sur le droit des malades de 2002 prévoit une temporalité claire : les choix en matière de politique de santé précédant les choix de financement. Dans toutes les autres lois, l’articulation entre ces trois piliers de la gouvernance n’a été que faiblement explicitée et apparaît comme inefficiente. Chaque institution qui y contribue apporte à l’ensemble sa propre rationalité et son mode de fonctionnement propre. Un pilotage stratégique devrait assurer la mise en cohérence des politiques.

Il est nécessaire de clarifier les rôles de chacun des acteurs. Un transfert de responsabilités devrait avoir lieu entre l’AM et le ministère de la Santé. Il concerne, en premier lieu, les négociations avec les professionnels de santé et la gestion de la médecine ambulatoire. Ce déplacement significatif du centre de gravité de la régulation de la médecine de ville vers l’Etat rend plus explicites des changements déjà engagés dans les rapports entre l’Etat, l’AM, les partenaires sociaux et les représentants des professions de santé. Ainsi, l’Etat par le biais du ministère de la Santé voit ses actions centrées sur :

  • le pilotage et la définition de la politique nationale de santé, ainsi que la détermination des grands principes de la régulation ;
  • le suivi et l’évaluation de la politique de santé et de gestion du risque ;
  • la régulation des alertes sanitaires et la gestion des crises ;
  • les stratégies d’organisation de l’offre de santé ;
  • les négociations conventionnelles ;
  • la coordination des agences sanitaires nationales, des ARS et des caisses nationales de l’AM.

L’AM serait recentrée sur ses missions relatives à la liquidation des prestations – dotations et tarifications des actes – et la gestion des droits des assurés, ainsi que la lutte contre la fraude. Elle conserverait les actions en lien avec le développement de la qualité et de l’efficience des actes et des pratiques, le conseil en santé et avec le contrôle des prestations. Il ne lui appartient pas de recommander une technique, un établissement ou un professionnel. Ces actions dépendent de la HAS ou in fine de la politique de santé définie par le ministère. Elle a une responsabilité dans l’information de l’assuré. Celle-ci pourrait s’étendre et englober également l’éducation thérapeutique.

Cette réorganisation de la gouvernance doit s’accompagner d’une régionalisation plus aboutie. Elle seule est la garantie d’une prise en considération des spécificités territoriales et de l’adaptation de l’offre de soins aux besoins de la population. Un tel objectif passe par un renforcement des pouvoirs des ARS notamment sur la médecine libérale mais surtout par la création de délégations territoriales dans toutes les ARS. Ces dernières obtiendraient des réelles délégations de gestion de la part du siège de l’ARS. Afin de mener de tels projets, le fonds d’intervention régional mutualisant des crédits, auparavant cloisonnés (ville, hôpital, prévention) et mis à la disposition des ARS, doit voir son montant progresser. Le rôle des ARS doit être clarifié par rapport aux hôpitaux. Leur mission est de contrôler et restructurer ceux-ci, et non de s’immiscer dans la gestion des établissements. Tout comme la médecine de ville est régulée à travers des conventions nationales et régionales, les directeurs des établissements doivent être responsabilisés et évalués sur des objectifs précis.

Afin de permettre à la démocratie sanitaire d’exister au niveau local, des chambres régionales de santé peuvent être instituées.  La création des ARS n’avait été équilibrée par aucun contre-pouvoir organisé, même si la loi prévoit des CS et des CRS. Leurs pouvoirs sont trop souvent limités ou peu définis. La régionalisation de la régulation du système de santé – voulue par la création des Urcam et des ARS – ne s’est pas traduite par un renforcement de la démocratie sanitaire au niveau local. Le renforcement du rôle des ARS n’est possible qu’avec la mise en place de manière concomitante d’instances démocratiques fortes. A la différence des CRS, les chambres régionales de santé qui s’y substitueront associeront les représentants territoriaux des trois démocraties : représentative, sociale et sanitaire. Elles auraient un rôle décisionnel et pas seulement consultatif sur les actions des ARS. Elles pourraient être animées par les conseils régionaux et être liées à ceux-ci, qui obtiendraient une vraie compétence dans le champ sanitaire.

Propositions :

1. Redéfinir les rôles respectifs de l’AM et de l’Etat en matière de politique de santé.

2. Création de directions territoriales avec une délégation de gestion conséquente dans toutes les ARS.

3. Mener la régionalisation de la gouvernance de l’AM à son terme avec notamment la création de chambres régionales de santé et un renforcement des compétences, des prérogatives et des moyens des ARS.

Une refonte de l’AM est rendue nécessaire afin d’améliorer son efficience

L’existence des trois régimes distincts trouve son origine dans l’existence d’importantes différences de situation entre professions et dans la constitution du mouvement mutualiste. Ces caractéristiques se sont considérablement atténuées et le maintien de ces différents régimes, et des délégations de gestion, doit aujourd’hui être remis en question afin d’améliorer l’efficience de l’AM. Un régime universel doit être mis en œuvre afin de simplifier le système de protection sociale et diminuer les coûts de gestion de l’assurance maladie.

L’affiliation à un régime de base n’est plus seulement déterminée par le critère socioprofessionnel, depuis 1999, mais aussi par le critère de résidence. La vérification de ces droits mobilise énormément de personnels. Ouvrir le droit à l’AM à tout résident majeur simplifierait l’ouverture de droits et assurerait la continuité de la prise en charge. Cette mesure permettrait par une gestion optimale des prélèvements sociaux, en supprimant les coûts des contrôles systématiques d’affiliation. En 2008, les dépenses de gestion administrative se sont élevées à 10,2 milliards d’euros, soit 3,4% des produits du régime général. Les dépenses de personnel ont crû d’1% du fait de gains de productivité réalisés et représentent 7,01 milliards d’euros en 2008.

Limiter les vérifications sur l’affiliation permettrait d’assoir le rôle clef de l’AM dans le contrôle des prestations – ALD, hospitalisation, arrêts de travail et invalidité – et dans l’étude de la pertinence des actes. La dispersion actuelle des trois principaux régimes d’AM nuit à son efficacité dans ces tâches alors que la fraude, facilitée par la lourdeur de l’organisation, représente un vrai manque à gagner pour l’AM (environ 384 millions en 2009). La mise en œuvre de services efficaces de lutte contre la fraude aurait permis une économie de 850 millions entre 2005 et 2011. Pour améliorer cela, il est possible :

  • de créer un service unique de contrôle indépendant des services administratifs. L’indépendance de ce service est nécessaire et doit être contrôlée – par le conseil d’administration de l’Uncam – pour qu’il n’y ait pas de conflit d’intérêt entre le rôle de payeur de l’AM et son rôle de contrôle ;
  • de recruter des hospitalo-universitaires consultants et des praticiens hospitaliers retraités volontaires qui assumeraient la fonction de conseil dans les décisions du service médical en matière d’hospitalisation ;
  • d’augmenter les effectifs du service médical par rapport aux effectifs administratifs. Le ratio est actuellement 1 médecin pour 85 salariés alors qu’il s’agit de contrôles de prestations médicales.

Par ailleurs, la structure actuelle de l’AM ne permet pas d’assurer l’équilibre financier de tous les régimes. Un système de compensations inter-régimes pallie les déséquilibres financiers et démographiques. Un régime unique permettrait, ainsi, une péréquation automatique de toutes les ressources encaissées pour le financement de l’AM. La gestion de ce régime maladie unique pourrait être confiée dans un premier temps à l’Uncam – qui fixe les décisions d’admission au remboursement ainsi que le niveau des remboursements – et par la suite à une agence de financement de la santé ou une agence nationale de santé (ANS).

Propositions :

1. Un système universel d’AM doit être promu pour améliorer l’efficience – financière et organisationnelle – du système.

2. Les délégations de gestion de l’AM – Sécurité sociale étudiante, par exemple – doivent être supprimées.

3. L’accès à l’AM doit passer d’un double critère (emploi et lieu de résidence) à un critère unique : la résidence.

4. Créer un service indépendant de contrôle des prestations afin d’éviter à l’AM d’être juge et partie dans ces activités de contrôle.

5. Recruter des hospitalo-universitaires et des médecins afin d’améliorer l’efficacité du contrôle des actes médicaux et des prestations associées.

Deux scénarios de réorganisation peuvent être distinguées : une agence de financement ou une agence nationale de santé

Il n’existe pas actuellement d’acteur unique en capacité de réguler le système de santé, c’est-à-dire capable de trouver un équilibre entre les objectifs d’amélioration de la santé de la population et la maîtrise des dépenses. Un tel acteur garantirait la cohérence du pilotage national du système de santé et de solidarité.

Afin de promouvoir un véritable pilotage national des politiques de santé, il est possible de militer pour la mise en œuvre une agence nationale de santé (ANS). Elle serait une autorité technique disposant d’une relative autonomie dans l’exercice de ses missions ou serait placée sous l’autorité directe du ministre de la Santé. Elle regrouperait certaines activités de l’Etat, de l’AM et celles de la HAS, du CNSA et du HCSP. Elle intègrerait l’ensemble de la politique de régulation sur tous les champs d’intervention en faveur de la santé (ville, hôpital, médico-social). Les activités de sécurité sanitaire seraient assurées par des agences spécifiques et indépendantes au niveau national et par les ARS au niveau local. Les agences de sécurité sanitaire ont acquis des compétences et des savoir-faire non facilement remplaçables. L’ANS réunirait les forces de l’Etat et de l’AM sous une même autorité et définirait les lignes directrices des ARS. Un conseil de surveillance présidé par le ministre de la Santé et regroupant tous les acteurs de la démocratie sanitaire définirait les orientations de l’ANS et évaluerait son action. Comme les ARS au niveau régional, elle est une « maison commune » qui a en charge :

  • les stratégies d’organisation de l’offre de santé ;
  • le financement des activités (dotations, tarification des actes) ;
  • la politique de gestion du risque ;
  • les négociations conventionnelles ;
  • le développement de la qualité et de l’efficience des actes et des pratiques.

La création de l’ANS redéfinirait le rôle de l’AM et celui du ministère de la Santé. L’AM serait recentrée sur ses missions relatives à la liquidation des prestations et la gestion des droits des assurés, ainsi que la lutte contre la fraude. Les actions du ministère de la Santé seraient concentrées sur la coordination et la définition de la politique nationale de santé, sur l’élaboration des grands principes de la régulation, la gestion des alertes sanitaires et la coordination des agences sanitaires nationales.

Deux risques majeurs sont associés à ce projet. La création d’une entité de cette taille et de cette ambition peut amener à un objet administratif non identifié et, surtout, non contrôlé. L’ANS ne peut remplir ces missions que si elle se substitue réellement aux autres acteurs. De telles opérations entraînent nécessairement des conflits de légitimité et des freins aux changements. Une substitution partielle n’est pas à écarter. D’autre part, elle encourt le risque d’une technocratisation qui limiterait son efficience.

Une option intermédiaire entre l’ANS et la mise en œuvre nécessaire quel que soit le scenario retenu, des principes édictés précédemment serait la création d’une agence nationale de financement de la santé.

Celle-ci créerait une unité de trésorerie entre les hôpitaux et l’AM. Les hôpitaux publics ne seraient pas influencés et préserveraient leur autonomie de gestion. Cette centralisation de trésorerie permettrait notamment :

  • à l’Etat de bénéficier des excédents de trésorerie des hôpitaux. L’Acoss pourrait emprunter à taux plus bas ce qui réduirait le coût de l’endettement du régime général.
  • l’augmentation de l’encours moyen mensuel et annuel de la trésorerie de l’Acoss grâce à une centralisation des trésoreries des établissements.

Outre la mise en œuvre d’un acteur unique dans la prestation, il est possible d’œuvrer pour la mise en œuvre d’un financeur unique. Afin d’éviter la création de structures ad hoc et nouvelles, il est possible d’étendre et de transformer les missions de l’ACOSS. A défaut de créer une ANS, le Cercle santé innovation promeut la création d’une agence de financement. La mise en œuvre de cette entité va de pair avec l’application des principes exprimés précédemment.

Position du cercle santé innovation sur l’alternative :

  • Le scénario de l’ANS est séduisant mais peut conduire à une technocratisation du système. Il faut militer pour l’aboutissement, à long terme, de ce modèle. A court terme, il faut se concentrer sur la mise en œuvre la fusion des trois régimes généraux et porter la clarification du rôle des acteurs.
  • La mise en œuvre d’une agence de paiement unique serait une deuxième étape pertinente avant la création de l’ANS.

Propositions :

1. Créer une agence unique de financement qui financerait les hôpitaux et la médecine ambulatoire grâce à une modification des statuts de l’Acoss. Elle serait le pendant, du côté prestations, d’un régime universel d’AM.

2. Rationaliser le nombre et les missions des agences intervenant dans le domaine sanitaire à défaut de créer une ANS.

3. A long terme, œuvrer pour la création d’une agence nationale de santé.

 

Quentin Demanet, Fondation Jean Jaurès