Publié le 2 mai 2018

Droits rattachés à la personne, à l’emploi, à la famille…

Le rattachement des droits à la personne doit-il être absolu ou limité à certains types de droits sociaux ? Doit-on acter le passage définitif d’un système bismarckien à un système beveridgien ? C’est à ces questions que cette tribune de la Fondation Jean Jaurès s’attache à apporter un éclairage.

 

Notre système de protection sociale s’est construit sur le travail : financement assis sur la rémunération, indemnités journalières compensant la perte de revenu, pilotage par les partenaires sociaux. D’aucuns constatent néanmoins une tendance ces dernières années : le rattachement des droits sociaux à la personne en lieu et place du statut. La protection universelle maladie (Puma) en constitue une excellente illustration.

Pour rappel, depuis 2016, toute personne qui travaille ou réside en France de manière stable et régulière a droit à la prise en charge de ses frais de santé à titre personnel et de manière continue tout au long de sa vie. Ainsi, indépendamment du parcours personnel ou professionnel, la continuité des droits à l’assurance maladie est en permanence assurée. Cette tendance est pourtant loin d’être absolue : les régimes de retraite restent spécifiques au secteur d’activité ; l’assurance-chômage a le plus grand mal à être étendue à d’autres catégories que les salariés ; les prestations familiales sont en fonction des enfants, mais celles-ci sont versées aux parents du fait de la charge qu’ils supportent.

Existe-t-il une logique idéale, à laquelle entièrement se vouer ? Le rattachement des droits à la personne doit-il être absolu ou limité à certains types de droits sociaux ? Doit-on acter le passage définitif d’un système bismarckien à un système beveridgien ?

La question posée du rattachement des droits remet à l’ordre du jour le débat entre système bismarckien et système beveridgien. Mais le débat n’est pas nécessairement à ce stade. Un individu en tant qu’assuré social peut disposer de droits qui lui sont propres du fait de ses cotisations sans que ces droits soient transposables à son conjoint(e). Le système beveridgien dans son acception première induit une fin de cotisations sociales pour ne laisser place qu’à l’impôt. Certains systèmes de protection sociale restent intellectuellement plus rattachés au travail passé, même s’il conviendrait de discuter dans le détail chacun des points, comme la retraite ou le chômage. Il revient, par contre, à la solidarité nationale financée par l’impôt de mettre en œuvre des mécanismes de minimums afin de maintenir chacun en sa dignité et d’éviter autant que faire se peut l’exclusion sociale (dans les exemples cités, le RSA et la PSV).

La situation est différente en ce qui concerne la santé. La couverture maladie tend vers un schéma en trois strates : les personnes qui ne disposent que de la CMU et qui bénéficient à ce titre d’une prestation de solidarité, les personnes cotisant à la Sécurité sociale et qui pour cela ont droit à un certain nombre de remboursements et les personnes disposant de la Sécurité sociale et d’une couverture complémentaire. La troisième catégorie de personnes est en voie d’extension.

En effet, la généralisation de la complémentaire santé pour les salariés est intervenue suite à l’accord national interprofessionnel (Ani) de janvier 2013 et renvoie à portion congrue le nombre de personnes non couverts par un Ocam. Derrière l’intention louable d’étendre la couverture complémentaire, cette mesure favorise en réalité les contrats collectifs d’entreprise par rapport aux contrats individuels. En se focalisant sur les salariés, elle est par ailleurs en contradiction avec la volonté de détacher les droits sociaux du statut de travailleur. Ainsi, l’Ani reproduit paradoxalement les traits dont on voulait se débarrasser depuis quarante ans : la différenciation entre salariés et non-salariés et le poids des cotisations sociales pour les entreprises. Surtout, il existe des risques pour les différentes personnes non inclues dans l’Ani. De cette manière, en raison d’une mutualisation plus faible du risque, le coût de la couverture complémentaire va mécaniquement augmenter pour les chômeurs et les retraités s’ils souhaitent que leur protection reste d’un niveau équivalent après leur sortie du marché du travail.

 

Pour tous les progressistes, la généralisation de la complémentaire pour les salariés ne peut être qu’une première étape avant la généralisation à tous.

 

Quelle serait le schéma final possible dans ce cadre ? De manière synthétique, il pourrait se comprendre comme la suppression de la deuxième catégorie ci-dessus et avec la définition d’un socle commun qui financerait un panier de soins définis par la collectivité nationale chaque année. Les soins remboursés et le niveau de remboursement devra, dans ce cadre, retenir toute l’attention. Afin que la mesure porte tous ces effets en termes de réduction des inégalités sociales de santé, il ne peut s’agir que de l’extension de la prise en charge aujourd’hui effectuée par l’assurance maladie à tous (en prenant en considération les aménagements préconisés, par ailleurs, sur les soins dentaires, ophtalmologiques et auditifs). Seul un niveau conséquent de prise en charge socialisée permettra la soutenabilité financière du système ainsi que son efficacité en termes de santé publique. Les dépenses non couvertes par ce système de socle pourront l’être par des organismes complémentaires soit au titre de la CMU-C, soit au titre d’une complémentaire individuelle (dont celles acquises au titre de l’ACS) ou enfin d’une complémentaire collective (dans le cadre des dispositions prévues par l’Ani).

Comme nous l’avions par ailleurs écrit, il nous semble utopique de vouloir accroître l’autonomie du patient dans le système sans lui octroyer des moyens économiques pour se faire. Il faut rendre concret l’égalité d’accès aux soins. C’est le sens de ce que nous proposons ici. Les complémentaires peuvent avoir une place centrale dans ce double mouvement d’autonomisation et de responsabilisation (mis en avant par les participations demandées aux patients). Elles permettent, notamment, aux patients de concrétiser ses choix sanitaires par des options financières (même dans le cadre de l’Ani si plusieurs types de contrat sont proposés). L’accroissement de l’autonomisation et de la responsabilisation financière de l’usager appelle à un renouvellement souhaité de la place des complémentaires dans notre système de santé.

La question de l’obligation d’adhésion à une complémentaire santé (à l’instar de ce qui existe dans d’autres pays) peut se poser. Une telle contrainte peut entrainer des effets de bord avec notamment la création d’un troisième étage à la fusée avec des remboursements de soins qui ne seraient alors pris par aucune complémentaire et avec la création d’une offre de surcomplémentaire. Pour ces raisons qui reviennent in fine à réduire le champ de couverture des complémentaires, il est possible de préconiser une non obligation à la souscription d’une complémentaire individuelle.

Une fois ces différents éléments cités, il convient d’en tirer les conséquences en termes de méthodologie de financement. En bref, la question posée est celle de la fin des cotisations sociales afin de transférer ce financement sur des outils fiscaux plus larges et n’entrant pas en ligne de compte dans la définition du coût du travail (et, ainsi, ne jouant pas sur la compétitivité coût du travail). Une remarque préalable est nécessaire sur le sujet.

 

Il nous apparaît fondamental que les cotisations d’AT-MP demeurent pour les employés et les entreprises avec l’accentuation des mesures incitatives (des bonus/malus) pour ces dernières.

 

Le lien direct entre la situation professionnelle et la cause de la pathologie nécessite le maintien de ce couplage. Sans entrer dans des débats de fiscaliste, plusieurs principes nous paraissent nécessaires dans l’évolution des financements afin de succéder aux cotisations sociales :

  • que le financement repose toujours sur les entreprises (dont les décisions, les organisations du travail, et les plans de prévention – des risques psycho-sociaux, des troubles musculo-squelettiques, mais pas uniquement – ont des conséquences sur la santé de salariés) plutôt que sur les individus ;
  • que le mode de financement, dans un but d’accompagnement des inégalités sociales, soit corrélé au revenu. Il convient dans cette évolution de dépasser le caractère antiredistributif des cotisations sociales qui, du fait de leur plafonnement, avaient des taux de contribution dont la proportionnalité diminuait avec les revenus des individus.

Une fois ces éléments mis en exergue, il convient de faire le lien avec une mesure préalablement préconisée sur la gratuité des soins. Cette dernière, comme nous l’avions indiqué, entrainerait une rupture philosophique pleinement assumée. Dès sa naissance, le jeune ne serait plus considéré comme ayant droit mais comme assuré social à part entière. Pour le matérialiser, chaque enfant pourrait se voir attribuer à la naissance un numéro de sécurité sociale, comme il l’est déjà aujourd’hui à partir de 16 ans, et être doté d’une carte vitale. Les parents choisiraient le médecin traitant de l’enfant jusqu’à un âge que l’on pourrait appeler la « majorité sanitaire ». Cela renforcerait son indépendance dans la prise en charge de sa santé. Afin de renforcer l’autonomie des patients cette « majorité sanitaire » pourrait être abaissée de 16 ans à 15 ans afin que les jeunes puissent se saisir réellement du contrôle de leur santé (notamment, en matière sexuelle). Ce type de mesure concentre trois avantages majeurs : elle répond à un objectif de santé publique clair, elle favorise la mise en place de nombreuses actions de prévention qui sont les marques de sa réussite, et elle permet l’anonymat de la prise en charge pour les adolescents.

 

Quentin Demanet, expert associé à la Fondation Jean-Jaurès