Publié le 20 septembre 2017

Comprendre les inégalités sociales de santé

Notre environnement a d’importants impacts sur notre santé. L’alimentation et la qualité de l’air en sont deux illustrations concrètes. Les pouvoirs publics doivent regarder la santé comme un enjeu traversant les différents maux de la société et qui nous interroge sur notre conception de la justice.

Souvent décrit comme l’un des plus performants en termes de dispensation et d’organisation des soins (1), le système français connaît pourtant des fragilités. Les inégalités sociales de santé ont même tendance à s’aggraver depuis vingt ans, comme le montrait dès 2002 le troisième rapport triennal du Haut Conseil de la santé publique.

Les pouvoirs publics, conscients de ses défaillances, se sont saisis de ce sujet en 2009 par la loi dite « Hôpital, patients, santé et territoires » et en 2012 par le pacte territoire santé à travers la problématique des déserts médicaux. Il n’en demeure pas moins que des inégalités alarmantes subsistent.

Inégalités géographiques lorsque, par exemple, la mortalité infantile dans les départements et régions d’outre-mer est plus de deux fois supérieure à celle de la métropole. Inégalités sociologiques lorsque, selon l’Observatoire des inégalités, les deux tiers des ouvriers déclarent respirer des fumées ou des poussières sur leur lieu de travail, contre un cadre supérieur sur dix, ou lorsqu’il y a deux fois plus d’adultes obèses chez les artisans, commerçants, agriculteurs, ouvriers et employés que chez les cadres supérieurs.

Face à ces échecs, il faut s’intéresser aux composantes complexes de ces inégalités sociales. La santé, qui peut être perçue comme une préoccupation individuelle, est le résultat de déterminismes sociaux à l’œuvre dans la société. Loin d’être des problèmes isolés, ils forment une chaîne causale qui appelle à une vision globale. Les pouvoirs publics doivent regarder la santé non comme le secteur d’un seul ministère, mais comme un enjeu traversant les différents maux de la société et qui interroge notre conception de la justice.

L’alimentation est l’un des meilleurs exemples pour illustrer cette chaîne causale. Selon Claire Hédon, présidente d’ATD Quart Monde, des études démontrent que la malnutrition affecte le développement cognitif intellectuel des enfants (2). Cette première inégalité (alimentaire) se traduira au niveau scolaire, entraînant des inégalités futures (professionnelles, économiques et d’accès au logement) (3).

Ce constat peut s’aggraver si on le met en relation avec les conclusions du rapport de l’Inserm « Inégalités sociales de santé en lien avec l’alimentation et l’activité physique » datant de 2014. En effet, les facteurs liés à la contrainte budgétaire s’additionnent aux facteurs psychosociaux (une personne modeste a plus de difficultés à se projeter dans l’avenir et donc à investir dans son « capital santé ») et socioculturels (les plus démunis ont des habitudes alimentaires moins bénéfiques pour la santé).

 

Le mécanisme des déterminismes sociaux appelle donc à une stratégie audacieuse, globale et en amont pour répondre aux inégalités sociales de santé

 

La revue Plos One confirme le risque de l’accumulation des inégalités dans une étude des habitants de Paris face aux pics de pollution (4). Les chercheurs de l’étude, partant du paradoxe que les populations défavorisées ne vivent pas dans les quartiers les plus exposés à la pollution mais en sont le plus victimes, expliquent qu’elles « sont plus vulnérables pour des raisons directement liées à leurs conditions de vie et cumulent des facteurs de risque de contracter des maladies chroniques ». Cette chaîne est donc constituée d’une multitude d’inégalités qui s’enchevêtrent et qui demandent une action volontariste pour être brisée.

Cette action ne peut être seulement verticale mais acceptée et comprise par tous. Par exemple, les personnes les moins bien informées assimilent davantage la pollution aux fumées qu’aux polluants invisibles, et sont donc moins sensibles aux efforts des politiques publiques que les populations plus cultivées, habituées à intégrer des informations abstraites. L’inégalité d’information peut donc réduire l’adhésion aux réformes mais aussi leur impact. C’est le cas pour l’étiquetage des valeurs nutritionnelles qui requiert un minimum d’expertise et améliore davantage la situation des catégories favorisées que celle des autres.

Le mécanisme des déterminismes sociaux appelle donc à une stratégie audacieuse, globale et en amont pour répondre aux inégalités sociales de santé. Ces politiques volontaristes ont déjà prouvé leur efficacité aux Etats-Unis. En effet, la diminution des concentrations en particules fines (indice PM2.5) dans ce pays entre le début des années 1980 et celui des années 2000 s’est accompagnée d’un allongement de la vie, avec un gain d’espérance de vie de plus de sept mois (5). Cette prise de conscience américaine a émergé sous la pression des mouvements pour les droits civiques qui définissent une justice environnementale comme « le traitement équitable des gens de toutes races, cultures et revenus dans le développement des règlements, lois et politiques environnementales » (6).

A l’échelle européenne, le Royaume-Uni a initié un plan d’action transversal qui saisit chaque aspect des inégalités en mobilisant l’ensemble des ministères, mais aussi local pour s’adapter aux problématiques spécifiques des zones concernées. Dans cette optique, la maire de Paris Anne Hidalgo et Patrick Ollier, le président de la Métropole du Grand Paris, ont souhaité la création de l’Observatoire mondial de la pollution de l’air qui rassemble un réseau international de métropoles afin de partager des connaissances sur la pollution de l’air et les « bonnes pratiques ».

A travers les exemples de la qualité de l’air et de la nutrition, on mesure à quel point l’accès à l’information se révèle être une clé pour comprendre ces inégalités. La prévention et la proximité entre le médecin et son patient permettraient d’anticiper et de détecter ces inégalités dès l’enfance. Cette démocratisation permettrait de lutter durablement contre l’émergence et surtout la reproduction des inégalités, et de garantir ainsi l’égalité des soins.

 

(1) En 2000, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) décrivait le système de santé français comme « l’’un des plus performants en termes de dispensation et d’organisation des soins de santé ».
(2) Colloque « Cinq leviers pour nourrir toute la terre » organisé par la Fondation Jean Jaurès, le 13 décembre 2016.
(3) Selon le 21e rapport de la Fondation Abbé Pierre sur le mal-logement, 44% des personnes concernées (soit 5,9 millions) déclarent s’imposer des restrictions en matière de soins médicaux.
(4) Dans l’étude parue en août 2015 dans la revue Plos One, des chercheurs de l’EHESP et de l’Inserm ont analysé les causes de 79;107 décès survenus à Paris chez les habitants de plus de 35 ans entre 2004 et 2009.
(5)  »Air extérieur et santé », Direction générale de la santé, septembre 2016.
(6) Selon l’agence américaine de protection de l’environnement (EPA).