Publié le 31 août 2018

La portabilité des droits doit-elle être financée par l’impôt ?

#La synthèse du Lab

Différents mécanismes de portabilité des droits ont été institués ces dernières années. Ces dispositifs qui concourent à la sécurisation des parcours posent la question de l’ouverture des droits sociaux tout au long de la vie et surtout celle cruciale du financement.

Problématique générale : en santé, différents mécanismes de portabilité des droits ont été institués ces dernières années. Ce type de dispositif, qui participe de la sécurisation des parcours, peut-il et, si oui, doit-il être élargi à d’autres types de droits (retraite, perte d’autonomie ?) ? Selon quelles modalités ?

Parallèlement, la question majeure du financement doit se poser sous deux principaux aspects. Le bouleversement des logiques gouvernant notre modèle social induit une réflexion sur les sources de financement qui y sont associées. Le second aspect concerne la continuité des droits sociaux et les logiques de compte personnel. Comment parvenir à financer des droits acquis dans le travail, mais activables hors travail ? Plus largement, comment financer des droits acquis hors travail (reconnaissance des parcours associatifs, mutualistes, par exemple) ?

Classiquement, on tend à opposer en matière de protection sociale les régimes dits bismarckiens de ceux dits beveridgiens. Les premiers, en référence au chancelier allemand Otto von Bismarck, sont financés par des cotisations assises sur le travail, les prestations servies sont fonction de la rémunération et la gouvernance est assurée par les partenaires sociaux. Tandis que les seconds, qui renvoient au lord anglais William Beveridge, reposent sur la règle des « trois U » : universalité de la couverture, uniformité des prestations, unité de gestion, centralisée auprès de l’État.

 

Les grandes tendances en matière de financement

Les réformes déjà engagées et celles en préparation portent en elles des enjeux importants en matière de financement de la protection sociale :

  • l’harmonisation des régimes de retraite devrait entraîner des changements importants dans les modes de financement du risque retraite ;
  • dans le champ de la politique familiale, des interrogations portent sur le maintien d’un financement partiel de la branche famille par la voie de cotisations ou, a contrario, sur un financement par impôts et taxes, qui pourrait aller jusqu’à une budgétisation de tout ou partie de ses dépenses, comme cela a été fait pour le financement des allocations logement ;
  • enfin, la piste d’un transfert au budget de l’État des dépenses d’aide sociale des départements, comme le RSA, est régulièrement évoquée.
  • Dans le même temps, on assiste à un triple mouvement, chacun donnant l’image à son échelle d’une « substitution de Beveridge par Bismarck » dans notre système de protection sociale :
  • les protections s’universalisent, c’est-à-dire que de plus en plus de droits sociaux sont accordés directement aux individus, sans égard à leur statut d’emploi : c’est le cas par exemple de la création de la couverture maladie universelle (CMU) en 1999, récemment complétée par la protection universelle maladie (PUMa) ;
  • les protections s’uniformisent, à savoir les modalités d’accès aux droits s’alignent progressivement pour l’ensemble de la population : on peut ici citer en exemple la possibilité à venir pour les travailleurs indépendants de bénéficier de l’assurance-chômage ;
  • les protections voient leur gestion progressivement centralisée auprès de l’État, directement, comme le montre la création des lois de financement de la sécurité sociale, ou indirectement, par de multiples mécanismes de tutelle étatique, tels les conventions d’objectifs et de gestion et les contrats pluriannuels de gestion.

Ce triple mouvement inspire chez certains une volonté de fiscalisation des recettes de la protection sociale, avec les arguments suivants : « À des droits sociaux qui ne se limitent plus aux travailleurs ne devrait-on pas répondre par des financements plus seulement assis sur le travail ? » Plus largement, « le coût de notre système de protection sociale ne doit pas peser trop lourdement sur notre compétitivité, d’où la nécessité d’élargir son assiette de financement ».

De toutes les manières, « il n’est pas certain que les différences entre les types de prélèvements affectés à la protection sociale soient bien perçus par les Français ». C’est sans compter que « l’Europe considère les dépenses publiques, déficits compris, de façon globale, sans distinguer entre les différents types d’administration ; pourquoi alors ne pas avoir une seule source de financement, voire un texte fusionnant loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale ? ».

Pour rappel, les ressources qui servent à financer la protection sociale se répartissent en trois catégories principales : les cotisations sociales (61% du total des ressources en 2015), les impôts et taxes « affectés » (25%, dont la moitié – 13% – provient de la CSG), et les contributions publiques de l’État et des collectivités locales (10,2%). Avec la récente hausse de la CSG, les lignes évoluent rapidement. À l’origine, les cotisations sociales pouvaient représenter jusqu’à 95% des recettes de la Sécurité sociale.

Beveridge, héraut malgré lui de la sécurisation des parcours ?

Ces tendances pourraient d’ailleurs s’accélérer à l’heure où l’on parle de sécurisation des parcours et de personnalisation des droits sociaux. Les trajectoires de vie, les positions sociales se sont fragmentées, diversifiées et multipliées. L’époque est à « la déspécialisation des âges », les temps d’études, de travail et de vieillesse se faisant de plus en plus intégrés. Chômage de masse, allongement de la durée des études, changements d’employeur, éclatement des liens familiaux… exigent de repenser le socle sur lequel notre système de protection sociale a été bâti.

Face à de telles transformations et afin d’éviter les ruptures ou pertes de droits, de plus en plus militent pour l’universalité des droits à protection sociale, qui pourrait s’accompagner d’une transférabilité accrue des droits d’un emploi (ou statut) à un autre : on parle alors de portabilité des droits. Cette portabilité constitue en elle-même un levier de sécurisation. Par certains aspects, elle existe déjà :

  • soit à travers l’idée de compte personnel : on pense alors au compte personnel de formation ou au compte professionnel de prévention, tous deux alimentés en situation d’emploi mais activables indépendamment de la situation d’emploi ;
  • soit à travers le prolongement d’une couverture dont on bénéficiait précédemment : on peut prendre en exemple les droits rechargeables à l’assurance-chômage ou le maintien du régime collectif d’entreprise, en santé comme en prévoyance, en situation de chômage.

En plus des solidarités familiales, générationnelles, dans et hors emploi, entre outsiders et insiders, tend à s’installer une solidarité intertemporelle où chacun cotise non seulement pour financer ses droits actuels mais aussi la possibilité de bénéficier de droits futurs, dans le cas où une rupture surviendrait.

On le voit : plus le système de protection sociale cherchera, non plus seulement à couvrir contre les risques de l’existence, mais à sécuriser les transitions d’une étape à une autre, d’un emploi à un autre, d’une vie à une autre, plus la question du lien entre travail et protection sociale, donc des sources de financement de notre système, se posera.

Au point de faire disparaître toute référence à Bismarck ? Rien n’est moins sûr quand l’on sait que l’on dénombre encore dix voies d’accès à l’assurance santé privée, selon que l’on aura des revenus modestes, que l’on sera salarié, indépendant, fonctionnaire, exploitant agricole, travailleur précaire, retraité, chômeur…